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19 novembre 2020

Faussaire en étiquette : tout un art…

Tricher dans le monde du vin est très tentant : changer une étiquette, un millésime… Rudy Kurnawian s’est révélé comme le faussaire le plus génial de tous les temps.

Je vous raconte cette histoire croustillante du faussaire en étiquette. En parallèle, vous pourrez lire l’article de Laurent mon mari luthier sur les mille violons volés

qui en dit long sur la nature humaine.

Rudy Kurnawian et le rêve américain

Un des plus grands faussaires en étiquette et en vin

Rudy Kurnawian, originaire d’Indonésie vient vivre aux USA, il a aujourd’hui 43 ans. Il est « à l’ombre » depuis 2013. A 23 ans, le jeune Rudy, diplôme universitaire en poche, se trouve une passion : le vin. Pas les petits vins, non ! Il joue directement dans la cour des grands et ne s’intéresse qu’aux vins français les plus prestigieux et dans des millésimes d’exceptions.

Une rencontre décisive

S’intéresser aux grands vins demande énormément d’argent, l’origine de sa fortune est obscure mais peu importe. Il rencontre Paul Wasserman, très fin connaisseur qui lui fait une place dans des clubs de dégustateurs d’exceptions chez les milliardaires. Rudy est si généreux, si épicurien et tellement bon dégustateur. Il n’a pas son pareil pour reconnaître en double aveugle millésime et appelation…Il adopte des pseudos qui rappelle son amour immodéré du Bourgogne : Doctor Conti et Mister 47. C’est l’année mythique de la Romanée Conti, un des vins les plus rares et les plus chers du monde. Il mène grand train : supers costards, supers bagnoles. 

Une renommée internationale

Il devient très vite l’un des cinq plus grands experts mondiaux de vieux flacons. On estime sa collection de vins à 50 000 crus. Il peut dépenser jusqu’à un million de dollars par mois dans les ventes aux enchères. Rudy, magnanime, organise toujours des dégustations magnifiques où il invite ses amis.

Le commissaire priseur

 Il rencontre John Kapon, commissaire-priseur, qui possède une maison d’enchères familiales New-Yorkaise « Acker, Merrall and Condit ». Il lui demande d’écouler quelques-unes de ses bouteilles. Leur association va être très fructueuse : John Kapon va écouler pour le compte de Kurnawian 35 millions de dollars de vin. A titre d’exemple, une bouteille de Mouton-Rotschild 1945 s’est vendue 155 350 $… On pense que Doctor Conti a pu gagner, en une dizaine d’années, quelques dizaines de millions de dollars.

La vente aux enchère de trop

domaine de la Romanée

En 2008, une très belle vente aux enchères est prévue, avec des vins d’un très grand domaine bourguignon : le domaine Ponsot. Laurent Ponsot, propriétaire, est mis au courant de cette vente par un de ses amis qui se questionne sur la production du grand cru « Clos Saint-Denis » entre 1945 et 1971. Là, il y a un hic, il y a comme baleine sous caillou. Car le vigneron produit ce vin depuis… : 1982 ! Le producteur appelle le commissaire-priseur pour faire annuler la vente, ce dernier refuse. Ponsot saute dans un avion et la vente n’a pas lieu, c’est un énorme scandale.

Ponsot, le vigneron enquêteur

 Le vigneron tenace mène l’enquête. On découvre, dans la cuisine de Rudy, un véritable labo, le parfait attirail du faussaire : tampons, capsules, bouchons, fausses étiquettes, cires. 

Grâce à la perspicacité de Ponsot, Mister 47 faussaire en étiquette de son état, est jugé coupable en décembre 2013. 

A son actif, on a pu dire que c’était un homme surdoué, aux talents exceptionnels, doté d’un palais quasi surnaturel…On a retrouvé des notes chez lui permettant de « refaire » à partir de plusieurs vins un Mouton Rotschild 1945. La légende dit qu’il refaisait des vins en copie qui ressemblaient à s’y méprendre aux originaux. Son avocat voyait en lui un philanthrope, il n’arnaquait personne, il réparait les vins un peu moyen avec des assemblages dont il avait le secret….Ponsot balaie le mythe en disant qu’il se contentait juste de changer les étiquettes, un mauvais Volnay 65 devenait une mythique Romanée 45.

Certains de ses anciens amis ne peuvent même pas croire que Rudy ait pu les rouler. D’autres, plus réalistes, l’ont attaqué. 

Morale de l’histoire :

Cette histoire incroyable m’évoque pas mal de réflexions : pourquoi certains continuent-ils à le soutenir, alors qu’ils ont été victimes de ses escroqueries ? Je pense que, quelquefois, l’amour propre l’emporte sur la raison et c’est, pour eux, la seule façon de supporter la supercherie.

Rudy est-il un dégustateur génial ou doit-il son éphémère réussite à ses talents de manipulateur ? Une chose est sûre, c’est un expert dans l’art de l’entourloupe, du culot et de la séduction, comme Christophe Rocancourt dans un autre domaine.

Je pense aussi que le vin se prête très bien à ce genre d’escroquerie. Effectivement, le vin n’est pas toujours un produit à consommer, il peut juste être collectionné ou représenter un placement financier. Dans ce cas il s’agit évidemment de vins particulièrement chers et côtés. Par exemple, le collectionneur va s’attacher à avoir tous les millésimes de Château Latour. Dans ce contexte, le vin n’est pas destiné à être bu. Le faussaire a tout à y gagner : il prend très peu de risque et en même temps, il réalise une affaire très juteuse. Il suffit juste d’être très doué en travaux manuels.

Ce qui me fascine, c’est comment cet homme si jeune, si talentueux, si remarquable dans l’art de la supercherie se fait finalement rattraper par une erreur somme toute assez grotesque, une erreur de débutant…

8 réflexions sur “Faussaire en étiquette : tout un art

  1. Victor dit :

    Comme quoi le flacon importe parfois plus que l’ivresse !

  2. Olivier dit :

    Un faussaire de génie… Mais qu’on se rassure, nous les dégustateurs lambda avons peu de chance de tomber sur l’une de ses bouteilles contrefaites, qui en fin de compte ont une certaine valeur.

    On ne peut pas en dire autant de toutes les autres formes de contrefaçon qui sont, elles, monnaie courante. En salles de vente ou dans le commerce, au restaurant, entre particuliers, sur les marchés primaires ou secondaires… Non, les grands crus dégustés entre millionnaires ne sont pas les seuls concernés.

    Il faut que je retrouve un article très détaillé sur les différentes contrefaçons: mauvais assemblage, bon domaine/mauvais millésime, mauvaise cuvée, non respect du cahier des charges…

    1. syrah1 dit :

      J’attends ton article avec impatience Olivier !

  3. Nicole Goulier dit :

    histoire tout à fait intéressante sur la nature humaine
    des gens qui ont un égo surdimensionné comme ce Rudy il y en a quelques uns sur terre mais pousser l’arnaque jusque là est assez exceptionnel…je pense qu’il y a des gens très doués pour faire avaler des trucs énormes à d’autres surtout en politique …il n’y a qu’à voir Trump et puis il y a ceux qui sont prêts à gober n’importe quoi du moment que ça les fait exister et qui en redemandent…et qui n’en démordent pas …..comme les électeurs de Trump….si on pousse le raisonnement un peu plus loin on arrive au syndrome de Stockholm
    l’explication de Marc est plausible et pas vraiment contradictoire avec la mienne
    moi ça me fait plutôt marrer cette histoire j’ai du mal à avoir de la compassion pour les pauvres riches qui ont bu du jus de chique en croyant que c’était du nectar, quelque part ils en ont eu pour leur argent….
    bises

  4. MARC MOULINNEUF dit :

    Hello Marielle,
    Pour avoir vu un des nombreux reportages sur Rudy Kurniawan, il est aussi à noter que certains des  »arnaqués » bien qu’ayant perdu beaucoup ou plutôt surpayé certaines bouteilles n’ont pas porté plainte.
    La raison, pour eux, n’est pas qu’ils doutent de la supercherie. Mais ils regrettent tellement les fabuleuses dégustations qu’organisait Rudy dans des restaurants haut de gamme aux 4 coins du monde qu’ils considèrent que le prix qu’ils ont payé (surpayé) n’est pas trop en regard des plaisirs qu’ils en ont tirés. Ça a du sens !
    Le vin, pour beaucoup, est une passion mais la dégustation des grands vins est aussi un passe-temps pour des milliardaires pour lesquels chercher, trouver, acheter une bouteille quelques dizaines de milliers de dollars n’évoque, en fait, qu’une difficulté : avec qui pourrais-je bien la boire ?
    Grâce à Rudy et à ses relations, il y avait toujours matière à participer à quelque chose de somptueux autour de vins grandioses, ceci explique sans doute… beaucoup cela 😉
    Marc Moulinneuf

  5. Jackie dit :

    Merci Marielle pour cette histoire « juteuse »
    Bises
    Jackie

  6. Anna dit :

    Merci Marielle très belle histoire.

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