Le jugement de Paris
Le jugement de Paris
Je vais vous raconter une histoire célèbre « le jugement de Parîs » longtemps cachée tellement les résultats ont déstabilisé les dégustateurs français…
En 1973, Stefen Spurrier, britannique de son état et caviste à la Madeleine, fonde avec Patricia Gallagher l’académie du vin à Paris. C’est la première école qui propose aux expatriés anglais, américains, d’apprécier les vins français.
Faire connaitre les vins californiens
En 1976, pour asseoir la réputation naissante des vins californiens, ils décident d’organiser une dégustation à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance américaine. Le concept est simple, organiser une joute entre vins français et vins californiens.
Le choix se portera sur 10 blancs : 6 californiens et 4 bourguignons et sur 10 rouges 6 californiens et 4 bordelais. Les vins seront dégustés dans des bouteilles neutres. Chaque échantillon sera noté sur 20 selon les critères suivants : couleur, nez, bouche, équilibre.
Des dégustateurs hors-pair
Pour goûter les vins, il faut des dégustateurs hors-pair, la France n’en manque pas, il n’y a que l’embarras du choix. Le jury est composé du gratin (10 personnes) dont voici le pedigree: la rédactrice en chef de la revue des vins de France, le propriétaire de la Romanée-Conti, du château Giscours, le chef du Grand Véfour, du Taillevent, le sommelier de la Tour d’Argent, un inspecteur général de l’INAO, le directeur du Gault et Millau et un représentant de l’institut du vin. Que des français, papilles très affutées, les Californiens n’ont qu’à bien se tenir…. Et petit détail, on invite quand même un journaliste du Time.
Le séisme des résultats
Les résultats, donnés en 2 temps, provoquent un séisme. Après la dégustation des vins blancs, c’est un vin californien qui arrive en tête. La pression est très importante, les dégustateurs se disent qu’ils ne peuvent se tromper sur les rouges et là, pareil, c’est un californien qui devance Mouton-Rotschild.
Les réactions sont très houleuses, on accuse l’organisateur d’avoir triché, certains veulent récupérer leurs notes de dégustations. Les résultats ne doivent pas sortir de l’hôtel Intercontinental où s’est organisée la dégustation, ce serait un scandale. Malgré cela, le journaliste du Times fait son job et sort un article, il sera relayé largement à l’international. En France, « heureusement », il n’y a pas de réseaux sociaux, on ne peut pas faire le buzz ! L’affaire sera plus ou moins étouffée. Comme un lourd secret de familles, peu de protagonistes acceptent de parler de cet épisode de leur vie.

Les vins californiens entrent dans la cour des grands
Le jugement de Paris marque l’entrée des vins californiens dans la cour des grands et, plus largement, les vins du nouveau monde. Les français ne détiennent plus la suprématie sur laquelle ils étaient assis.
Après ce Waterloo pour la viticulture française on a cherché des explications objectives à ces résultats, ce que l’on sait c’est que les raisins californiens ont été ramassés manuellement à maturité optimale. L’hygiène des chais était parfaite. Les deux caves utilisaient des pressoirs pneumatiques permettant d’extraire de façon douce et maximale les jus. Les cuves étaient thermo-régulées ce qui permet une fermentation contrôlée des mouts. Ces techniques révolutionnaires n’ont pas tardé à arriver en France et sont utilisées maintenant couramment.
Mon avis sur le jugement de Paris
J’ai souvent organisé des « jugements de Paris » dans mes cours et je dois dire sans malice que, très souvent, j’arrive au même type de résultats. Je pense que la raison est très simple. Chacun de nous se forge une opinion et fantasme sur les vins français de belle facture. Chacun imagine qu’à la dégustation, incontestablement, ces grands vins vont leur sembler magnifique et cela, pratiquement, comme une évidence. Derrière un vin du nouveau monde, le dégustateur projette un vin simple, pas très épatant, sans doute un peu neutre.
Mon hypothèse
Et là, il y a un biais énorme, les vins du nouveau monde possèdent du sucre résiduel, c’est peu perceptible. On ne peut pas dire : « ce vin est sucré », mais, pour autant, il est tellement plus facile à boire, plus agréable. Ces vins vont nous procurer un plaisir immédiat pratiquement comme un vieux réflexe archaÏque. Je pense qu’on ne peut pas lutter, les armes ne sont pas égales. Lorsque l’on découvre les bouteilles, c’est très souvent la déception, les vins encensés par les dégustateurs sont majoritairement les étrangers…
On reproche souvent aux vins français (quand on ne sait pas qu’ils sont français) d’être discrets, de ne pas avoir de caractère. Cette hypothèse n’a pas été évoqué dans le Jugement de Paris mais elle me semble très pertinente. Un dégustateur avait d’ailleurs qualifié un Meursault Charme de « plat et neutre » en imaginant que c’était un vin californien…

Un clin d’oeil à la mythologie
Un petit mot sur le clin d’œil à la mythologie grecque « Le jugement de Parîs » : Eris la déesse de la discorde demande à Parîs de choisir parmi 3 déesses la plus belle. Il choisit Aphrodite et cela va conduire à la guerre de Troie. C’est un peu les ingrédients que l’on retrouve avec nos vins français versus vins californiens.
C’est, il me semble , le sujet du film Bottle shock ( dégustation choc)