« L’affaire des 1000 violons volés »
Les milles violons volés
Nous sommes le 9 janvier 1995. Comme tous les matins, avant de commencer le travail, je prends un café, au bar à côté de l’atelier, avec mon patron Pierre. Roger, le serveur, nous connaît bien. Il nous tend le Libé du jour.
« Vous avez vu, les gars ? On parle de violon. » Nous prenons le journal, commençons à lire. Tout à coup, Pierre et moi manquons tomber de nos tabourets. Nous avons, sous les yeux, un long article, intitulé : « Un millier de violons volés tentent de retrouver leur propriétaire ». En voici un résumé :
L’article de Libé
« La brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris vient de retrouver chez un « fourgue » (un recéleur)-on donne son nom-, après une filature de plusieurs mois, 1000 violons et violoncelles volés. En perquisitionnant son appartement, ils ont découvert les instruments dans des faux plafonds et un tunnel secret de 6 mètres de long, planqué derrière les lambris. Non content de vendre de la marchandise volée, le délinquant substituait les étiquettes des violons les moins cotés par d’autres, plus prestigieuses, en vue de vente plus fructueuse. Son trafic, principalement en direction du Japon, était tellement important qu’il avait même fini par alerter les luthiers « officiels » de la rue de Rome. Tous ces instruments sont actuellement présentés au public, dans une salle, aux Champs-Elysées, en vue de retrouver leurs propriétaires légitimes.
« Et bien, les garçons ? Vous en faites, une tête ! » nous dit Roger. « Vous le connaissez, ce « fourgue » ? »
« Bien sûr qu’on le connaît ! » répondons, de concert, Pierre et moi. « Mais pas sous ce jour. »
En fait, le type dont il est question est un client régulier de l’atelier. Nous effectuons pour lui des réparations sur des violons. Et, ce, de manière tout à fait honnête et classique, comme pour l’importe quel client. Et jamais il n’a été question d’étiquettes trafiquées ou quoi que ce soit de la sorte. Nous tombons des nues.
La perquisition
Pierre devant aller faire une course, j’ouvre seul l’atelier. Deux minutes après, on frappe à la porte. Quatre hommes, deux en costume, deux en parka, me montrent un bout de papier carré et l’un d’eux articule : « Brigade de répression du banditisme ! ». J’ouvre. Les quatre policiers font irruption dans l’atelier, de manière assez virile. Et, sans plus d’explication, l’un d’eux me dit, en me regardant dans les yeux :
« Allez ! Où est la boîte à fausses étiquettes ? Et les fausses marques au fer ? »
(Pour comprendre l’histoire, il fait savoir que, souvent, les luthiers signent leurs instruments avec une sorte de tampon en métal, gravé à leur nom : une « marque au fer ». Mais, se faire fabriquer un tel outil coûtant relativement cher, je me servais, à l’époque, d’un « composteur »: une réglette de relieur, sur laquelle on pouvait, comme un imprimeur, insérer les lettres qu’on voulait. J’avais d’ailleurs, à cet effet, un petit casier, avec toutes les lettres de l’alphabet, en plusieurs exemplaires. Mais j’utilisais, évidemment, uniquement les lettres de mon nom).
Je regarde le policier et, naturellement, lui dis que je ne comprends pas un traître mot de ce qu’il me demande.
« Très bien ! » répond-il. « Et bien, on va tout fouiller ! »
« Faîtes, je vous en prie. »
Et les quatre cow-boys commencent à retourner l’atelier. A un moment, un des deux gars en parka s’approche de mon établi. Soudainement, je réalise que j’ai tout mon matériel pour signer mes violons, sur l’étagère, juste à hauteur de ses yeux. Il la regarde, approche sa main, ouvre le casier et découvre mon matériel. Il hurle dans l’atelier (qui fait 15 m2) :
» La preuve »
« Chef ! Chef ! J’ai trouvé ! »
Et, là, je m ‘approche de lui et lui dis :
« Non. Vous faites fausse route. Je vais vous expliquer… »
« Mais bien sûr ! » dit-il, en me scrutant au fond de la rétine. « On vient chercher des marques au fer, on les trouve, mais on fait fausse route. Pourquoi ? Parce qu’on est des cons, c’est ça ? Hein ? C’est bien ce que vous voulez dire ? »
J’ose : « Non, pas exactement… »
A ce moment, Pierre arrive.
« Qu’est-ce que c’est que ce bazar? Qu’est-ce que vous faites chez moi ? » demande-t-il aux quatre pistoleros.
« Allez ! Embarquez-moi ces deux zigotos ! » ordonne le chef. « Direction Quai des orfèvres ! »
La garde à vue
Nous voilà, Pierre et moi, en garde à vue. Pas tout-à-fait logés à la même enseigne, toutefois. Lui, quand les flics ont commencé à lui poser des questions, il leur a répondu qu’il avait autre chose à faire et pas de temps à perdre. Résultat : on lui a enlevé ceinture et lacets et il est en cellule. Moi, voyant ça, j’ai répondu très poliment et ai eu droit à patienter sur un banc, en conservant l’intégralité de mes effets.
On vient me chercher pour m’interroger. Le policier que j’ai en face de moi est, lui, remarquablement correct et courtois. Il me demande de lui décrire les rapports que l’atelier entretient avec le présumé recéleur. Je lui explique comment nous fonctionnons avec lui, que je n’ai, en aucune façon, connaissance de quelque fait délictueux que ce soit et lui décris mon système personnel pour signer mes propres violons. Tout à coup, il soupire, regarde en l’air, se masse les sourcils avec le pouce et l’index de sa main droite et lâche :
« Et bien, dites-donc, c’est un drôle de milieu, la lutherie ! »
« Comment ça ? » je demande. « Pourquoi dites-vous ça ? »
« Pour vous !..Demandez-vous pourquoi vous êtes ici et comment on a pu remonter jusqu’à vous. »
« Vous voulez dire que… c’est quelqu’un qui vous a dit qu’on se livrait à un trafic d’étiquettes et de marques au fer ? »
« En tout cas, ce n’est pas nous qui avons pu trouver ça tout seuls » dit-il, laconique. « On dirait que votre patron n’a pas que des amis… parmi vos collègues.»
Cette petite phrase résonne bizarrement dans mon cerveau.
Au bout de 8 heures, on nous laisse sortir, Pierre et moi, en nous disant qu’on place mon outillage sous séquestre et qu’on me tiendra au courant.
Le dénouement
Trois mois plus tard, je suis convoqué par la BRB pour venir rechercher mes outils. Je retrouve le policier qui m’avait mis au parfum. Il me rend ma marque au fer et reconnaît qu’effectivement, elle n’a rien à voir avec l’affaire. Affaire, d’ailleurs, pour laquelle il m’apprend qu’il n’y a, après enquête, jamais eu de trafic d’étiquettes. Cerise sur le gâteau, il semblerait même que les 1000 violons n’étaient pas volés non plus. Le marchand a, cependant, bel et bien été condamné à deux ans de prison, mais pour fraude fiscale. A la fin de notre conversation, nous nous serrons la main et il me dit :
« Faîtes attention, jeune homme. Vous faites un beau métier. Mais c’est parfois sur les plus belles roses qu’on trouve les plus grosses épines… »
Un poète. Un vrai.
je ne sais pas si l’histoire est vraie …..mais c’est un coup à se retrouver au violon de voler 1000 violons
je n’ose pas imaginer l’affaire avec des violes de gambe ….