Au commencement était la vigne
Je vous propose un nouvel épisode de mon feuilleton sur la Géorgie, là nous abordons toute la partie archéologie.
A l’origine, les fruits de la vigne sauvage auraient été impropres à la consommation, acides et menus. Les paléo-botanistes savent que les fruits ont commencé à intéresser les hommes au paléolithique inférieur, entre -500 000 et -120 000 ans.
A l’épipaléolithique, sous l’influence d’un climat plus doux, proche du climat méditerranéen dans certaines zones du Caucase, la vigne se serait développée de manière importante. Elle aurait donné des fruits meilleurs, plus sucrés. Peut-être était-elle située à proximité de sites faisant l’objet d’habitats provisoires mais réguliers. Les grappes auraient été l’objet de cueillettes plus fréquentes et régulières. Ce qui a une incidence sur la plante elle-même. Ces vignes auraient développé, dans la longue durée, des caractères propres qui les auraient distinguées des autres lambrusques. Dès le paléolithique, l’homme s’est rapproché de la plante. Il se serait rendu compte, par observation, qu’en coupant la plante, on obtenait des raisins plus gros, plus juteux. Ceci donnera naissance aux vignes entretenues.
Progressivement, au fil du temps, certaines vignes auraient muté en variétés qui ne portaient plus tout à fait les caractéristiques originelles de la plante sauvage. La vitis vinifera sylvestris va donner naissance, par diversification, à la vitis vinifera sativa.
Les carpologues
Les carpologues, qui étudient les paléo-semences, ont découvert des pépins de vigne domestique dans la région de Shulaveri Gora. Ces pépins se distinguent par leurs formes et leurs gènes. Ils sont plus longs, en forme de poire, leurs canaux ventraux parallèles sont plus marqués. Selon la datation au radiocarbone, ils remonteraient à 6000 ans avant JC.
Les fouilles dans cette région ont démontré qu’il y avait une activité agricole. La domestication des animaux, la culture du blé tendre et de la vigne sont souvent concomitantes. Le blé et la vigne sont devenus fondamentaux pour l’homme. L’activité agricole montre un ancrage au territoire, et la réflexion nécessaire qui l’accompagne en termes d’adaptation au milieu, de projets et de résultats. C’est un système complexe, on peut parler de proto-agriculture. On cultive différents produits de la meilleure manière pour assurer une subsistance et un développement démographique. Cette activité concrétise le développement des communautés vis-à-vis de leur environnement, non par la prédation, mais par l’adaptation et l’agriculture. Cela marque une étape importante dans le néolithique.
Le premier vin
L’homme, en stockant le raisin, a pu observer son évolution. Il a pu se rendre compte que le jus de fermentation pouvait être consommé. La compréhension du processus de fermentation et la recherche de sa maîtrise auraient constitué une sorte de lien plus étroit entre l’homme et la plante. Ce lien s’est développé depuis des millénaires, au point que l’homme n’a plus cessé depuis de cultiver la vigne et de chercher à l’améliorer, non seulement pour les fruits qu’elle donnait, mais aussi pour le vin qu’elle pouvait produire.
Les fouilles menées conjointement par des équipes nationales, notamment Nana Rusishvili, paléo botaniste et des équipes internationales, notamment Patrick MacGovern (USA), en mutualisant leurs compétences et du matériel performant dans la fertile vallée de Marneuli, vont donner des résultats exceptionnels. Ces derniers sont publiés dans la revue PNAS. On va modestement essayer d’en faire une synthèse.
Les plus anciennes preuves de vinification découvertes dans le village de Gadachrili Gora remontent à 8000 ans.
Les poteries brutes sont décorées de grappes de fruits et l’analyse du pollen du site suggère que les collines boisées à proximité étaient autrefois couvertes de vignes.
Les habitants de Gadachrili Gora et d’un village voisin étaient les premiers vignerons connus au monde : ils produisaient du vin à grande échelle dès 6 000 av. J.-C., à une époque où les hommes préhistoriques dépendaient encore d’outils en pierre et en os.
En fouillant les maisons circulaires du site archéologique, l’équipe a découvert des poteries brisées, y compris la base arrondie de grandes jarres, incrustées dans les sols des maisons du village. D’autres échantillons ont été découverts à Shulaveri Gora, un autre site du village de l’âge de pierre situé à un kilomètre et demi de Gadachrili.
Lorsque les échantillons ont été analysés par l’archéologue Patrick McGovern de l’Université de Pennsylvanie, il a découvert de l’acide tartrique, une « empreinte digitale » chimique montrant que des résidus de vin étaient présents dans des fragments de poterie trouvés sur les deux sites.
Les datations
L’extérieur des jarres est orné de grappes de raisins modelées. On pense que ces raisins, outre leur aspect esthétique, avaient un rôle pratique. Ils faisaient sans doute partie du système d’obturation des jarres.
Il y a suffisamment de pollen de raisin dans le sol du site pour obtenir une datation par radiocarbone de 5 800 av JC.
L’analyse chimique indique que les habitants de Gadachrili Gora étaient les premiers producteurs de vin au monde. (Sur un site chinois appelé Jiahu, des boissons fermentées étaient produites à partir d’un mélange de céréales et de fruits sauvages un millier d’année plus tôt).
Comme ils n’ont pas trouvé beaucoup de pépins de raisin ou de rafles préservés dans le sol du village, les archéologues pensent que le vin a été fabriqué dans les collines voisines, à proximité du lieu de production du raisin.
Les hommes pressaient les raisins dans des endroits plus froids, faisaient fermenter le jus, puis le versaient dans des pichets plus petits et le transportaient dans les villages quand il était « prêt à boire », a déclaré l’archéologue de l’Université de Toronto, Stephen Batiuk, qui a dirigé l’expédition aux côtés de l’archéologue Mindia Jalabdze du Musée national géorgien.
Le vin n’est pas nécessaire à la survie
Le vin était une boisson de saison, produite et consommée avant qu’il ne puisse tourner au vinaigre . « Ils ne semblent pas avoir ajouté de résine d’arbre, ce qui en fait le premier vin pur », déclare McGovern. « Peut-être n’avaient-ils pas encore découvert que les résines des arbres étaient utiles. « Par la suite, les viticulteurs ont utilisé de la résine de pin ou des herbes pour empêcher le vin de se gâter ou de dissimuler des goûts désagréables, de la même manière que les producteurs de vin modernes utilisent des sulfites ».
Patrick Hunt, archéologue à l’Université de Stanford, a déclaré que les résultats montrent que les habitants de l’âge de pierre vivaient des vies complexes et riches. « L’élaboration et la consommation du vin ne sont pas nécessaires à la survie. Cela montre que les êtres humains à l’époque ne se limitaient pas à des activités utilitaires », déclare Hunt. « Même au néolithique en transition, la sophistication est bien plus grande que ce que nous pouvons imaginer ».
Et Batiuk dit qu’ils n’ont toujours pas atteint les couches les plus basses et les plus anciennes du site. « Nous pourrions peut-être investiguer plus loin », dit-il. « Nous compléterons l’histoire du vin, ce liquide si crucial pour de nombreuses cultures, particulièrement pour la civilisation occidentale. »
En conclusion
Le vin à cette période était peut-être nécessaire à certaines croyances. Il semble presque s’imposer culturellement. L’histoire de la vigne et du vin dans le Caucase pourrait mettre en evidence des aspects majeurs, tel celui du bonheur par l’euphorie collective ou individuelle. Aussi le vin serait à la fois l’une des plus anciennes passions de l’homme et l’un de ses plus anciens remèdes. C’est sans doute aussi l’une de ses plus anciennes addictions.
Impressionnant !!!
On comprend mieux la complexité et la diversité actuelles en matière de vin : tant de temps pour évoluer…
Passionnant !
Vivement le voyage en Géorgie cet été.
Et le feuilleton n’est pas terminé…
Merci pour cet article.
Très bien documenté et clair.
« On est tissu avant d’être issu »